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Une interview de Siya Po’ossi X toujours d’actualité.

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Les Gabonais de Siya Po’ossi X (en fang :  » la terre à abattre « ) égrainent dans leur dernier CD un rap assuré et fluide avec des textes à faire grincer les dents :  » Mes rimes sont aussi des armes pour combattre ceux qui veulent nous abattre !  » Ils dénoncent les conditions de vie des jeunes et ceux qui détiennent le pouvoir :  » Vous avez pourri notre époque !  » et en appellent à une réaction africaine :  » L’Afrique, l’Afrique, c’est toi, c’est moi ! « . Leur volonté de ne pas jouer la copie des groupes occidentaux commence par l’utilisation des langues locales dans leurs textes.

Voulez-vous vous présenter ?
Djassi – Moi c’est Ndjassi Ndjass Ngô Tek Ngulu Tchwè Kani Kangungu A Souaga. On a commencé à écouter du rap en 1985 et à en faire en 89. A l’époque, des amis nous avaient ramenés des cassettes de Radio Nova. On a d’abord commencé par reprendre ces textes mais, très vite, on a préféré parler de ce qui se passe chez nous. J’étais dans le groupe New Rappers alors que les autres étaient dans IZB mais, étant de la même zone, Owendo, on se côtoyait et on a commencé à travailler ensemble.

One – Bon, moi c’est Dr Medang One-La Wana. J’ai commencé à faire du rap avec Y.Gee : on était dans le même collège. C’était en 1988. On avait déjà baigné dans le hip-hop en faisant de la break dance. Le rap en est le prolongement logique : il nous permet d’exprimer nos frustrations en tant que jeunes Africains. Avec Y.Gee et d’autres copains qui rentraient de Paris, on a créé IZB en 89 mais le groupe a éclaté ensuite.

Y.Gee – Moi c’est Mongwane Effack Y.Gee, mais appelez-moi Y.Gee. Effectivement, on a commencé dans le break dance et le smurf. On était dans le même bahut quand un pote est revenu de France où il avait commencé à toaster. On a d’abord toasté sur les versions instrumentales extraites de la face B des vynils qu’on s’achetait puis on a commencé à écrire nos propres morceaux.

Pee – Moi c’est Ndé Mebale Me Ndong Ekale, Double Pee. J’étais en Province, mais j’avais déjà tourné à Libreville en vacances avec Y.Gee, puis mes études m’ont permis de me retrouver à Libreville, dans le même lycée que Djassi. J’ai surtout travaillé les choeurs et on a bossé plein de trucs ensemble.

Et qu’est-ce qui vous a donné envie de faire route ensemble ?
Djassi – Les gars avec qui je bossais dans mon groupe d’origine étaient plutôt pour le fun et rencontrer des filles. Moi, j’avais des choses à dire, des textes à écrire. Et j’ai choisi un groupe conscient et professionnel. On a vu beaucoup de groupes naître et se séparer. Et nous, ça fait dix ans qu’on est ensemble. Bien sûr, il y a eu des hauts et des bas ! Des fois, on se prend la tête mais on est toujours ensemble, comme des frangins ! On a fait trois albums ensemble et on va pas s’arrêter là : c’est encore davantage que la musique, c’est la famille !

Et que cherchez-vous à exprimer ?

One – On part de notre expérience de jeunes Africains. On dit ce qui ne va pas car personne d’autre ne le fera à notre place, et certainement pas mieux que nous, même pas un homme politique ! Nous parlons de notre propre réalité, notre quotidien de librevillois, que d’autres individus, jeunes ou pas, vivent aussi dans d’autres pays ou villes.

Vos textes sont-ils plutôt message ou personnels ?
Djassi – Nos textes parlent de nous-mêmes, de notre expérience, et c’est ainsi qu’on délivre un message. Sur la violence policière par exemple, on a écrit To Kill La Wana qui est sorti sur le 2ème album : c’est notre vécu mais c’est la réalité de beaucoup d’autres villes.

Votre discours vous attire-t-il des ennuis ?
One – Bien sûr ! Certains politiciens n’apprécient pas mais la réalité reste ce qu’elle est. On se dit que Dieu seul nous fait flipper !
Djassi – Sur le troisième album Mapane Groove Act 2 (Quartier 10 – Siyafrikafonk Productions – MSI), il y a un titre, Statut d’artiste, sur le problème des droits d’auteur. Le morceau est passé deux ou trois fois sur certaines radios et depuis c’est le silence. Chaque fois qu’on le joue en concert, on ne le termine jamais : on nous coupe la musique ou les micros… C’est un morceau dans lequel on fustige les politiques directement : le ministère de la Culture ne nous sert à rien ; les bureaux sont fermés ou on y dort ou lit le journal ; c’est à peine s’ils nous regardent ! C’est ça aussi la réalité gabonaise, soi-disant pays de paix…

Avez-vous beaucoup d’occasions de vous produire ?
One – C’est extrêmement difficile. Depuis dix ans, on a fait beaucoup de petits shows, mais cela donne un concert tous les six mois au maximum… La musique n’existe que lorsque les politiques sont en campagne électorale ! On ne dira jamais assez que la culture est mise de côté dans ce pays ! Donc, on organise les spectacles nous-mêmes ; on colle les affiches nous-mêmes. Il nous arrive de faire des loupés, avec dix spectateurs, mais on joue comme s’ils étaient des centaines !

L’association Jah Observers qui vous manage avec Stowell Dipakwet vous est donc très utile ?
One – Oui, c’est une association très dynamique et au fait des problèmes des jeunes. On voudrait qu’il y ait 10 000 associations semblables : ça ferait évoluer les choses !

D’où vient votre volonté de vous exprimer aussi en langues locales ?
Djassi – Je suis Africain, Gabonais. Si quelqu’un écoute mon rap, il doit se poser la question de savoir d’où je viens. Si je ne rappe qu’en français, on pourrait penser que je suis Français ! C’est une façon d’affirmer notre identité. On mélange le fang, le téké, l’omyéné… On utilisera aussi le wolof et le lingala… Ce sont nos langues. Les jeunes trouvent nul de parler le fang ou le téké : pour eux, c’est être arriéré de parler ces langues. Par notre rap, nous voulons leur donner l’envie d’être curieux par rapport à nos langues, de les parler. C’est très important. Il y six ou sept ans, je ne parlais pas très bien ma langue maternelle. Grâce au rap, je m’y suis mis et m’y retrouve très bien. J’aimerais que d’autres fassent pareil.

Les mélanges que vous effectuez entre langues dans le même texte s’oppose-t-il aux conflits ethniques que vit l’Afrique aujourd’hui ?
One – C’est clair. Ces putains de conflits sont déplorables ! Les peuples d’Afrique tout comme ceux d’ailleurs devraient arrêter de se faire la guerre et prendre conscience qu’ils sont du même territoire, en l’occurrence la planète terre ! Je reste optimiste : les derniers seront les premiers !
Djassi – Par la culture, les gens peuvent se connaître, se comprendre, s’accepter. Si on ne pense qu’au profit et à l’argent, la logique ethnique s’installe et on se fait la guerre. Il est regrettable que les politiques ne le comprennent pas.

Que répondez-vous à ceux qui vous diront que vous aurez du mal à passer les frontières si vous ne chantez pas en français ?
Djassi – Que si nous rencontrons des gens différents de nous, il nous faut leur apporter notre culture. Nous ne voulons pas être en marge de l’évolution du monde, mais il faut qu’il y ait échange. Notre musique peut communiquer notre spécificité culturelle à des personnes différentes. Ce serait absurde de rejeter ce qui est en nous !

Certains titres sont profondément ancrés dans les rythmes bantu : quelle recherche et quel travail opérez-vous ?
One – C’est la cellule familiale la première source. On lit aussi des livres sur le pays et la sous-région. Il nous arrive souvent d’aller au village enregistrer les personnes âgées en leur posant des questions, en prenant des notes. C’est un bon moyen d’avoir des informations sûres qui ne soient pas déformées. Un fois revenus en zone urbaine, on fait la sauce entre nous, le nyèmbouè quoi ! (plat typique gabonais)
Djassi – Pour les sonorités, elles sont dans notre environnement : il suffit d’y être attentif. Il n’est pas difficile de trouver quelqu’un qui joue de la cithare ou un percussionniste.

Les jeunes refusent souvent la tradition : comment est-ce perçu ?
Djassi – La tradition a toujours été mal perçue par les jeunes mais avec le temps, ils s’y intéressent et s’ouvrent à ce métissage de cultures locales. Au début, certains rappers ne comprenaient pas notre intérêt pour les cultures locales. Ils ne pensaient qu’à imiter les rappers américains. Mais si nous avons signé une licence en France, c’est qu’on amène quelque chose de nouveau dans le rap : pourquoi un producteur ricain ou français se fatiguerait à signer avec un groupe africain qui ne rappe qu’en anglais ou en français alors qu’il y en a plein sur place ? La tradition , c’est notre richesse : il faut bien qu’on s’en serve ! Maintenant, tout le monde s’y met. C’est ça le rap africain : on va amener notre son ! L’Afrique doit imposer son propre son.

Ces racines semblent être aussi à la source du rap lui-même ?
Djassi – Ça me semble tellement évident que je ne trouve pas les mots !
One – Le rap ne nous semble pas très différent de ce que nous connaissons de la musique traditionnelle gabonaise dont de nombreux rythmes sont facilement adaptables sur des rythmes hip-hop ou raga. Le rap revient à la maison… ! Et nous, on l’adapte à notre époque, celle du troisième millénaire où l’Afrique doit s’imposer au niveau culturel. On y croit d’autant plus qu’on développe le frikafonk, qui un brassage africain et partant universel.

Vous arrivez à vous tenir au courant des nouveautés du mouvement rap dans le monde ?
Djassi – Oui, des copains ou des frères nous font souvent des envois. Ça va assez vite. On est bien à l’heure ! Avec la douane, on a plus de mal à recevoir nos propres disques que ceux des autres !

Qu’est-ce qui vous marque le plus ?
One – Je ne kiffe pas forcément tout : j’apprécie ce qui est sincère et original, que ce soit du zouk, de la salsa, de la musique indienne ou du rap.

Un dernier mot ?
Djassi – Bisi le sa mparin tsa loumou yi. Si je parles en téké, c’est pour dire qu’il faut d’abord être ce qu’on est vraiment.
One – Nous ne serons jamais rien d’autre si ce n’est des indigènes modernes : l’Afrique se réveille et il faut nous écouter. C’est aussi un appel aux dirigeants : s’ils ne se bougent pas, c’est nous qui allons faire bouger les choses.
Y.Gee – Je voudrais que la jeunesse africaine se bouge pour notre entrée au troisième millénaire.
Pee – Ne comptons pas sur les dirigeants qui ont leur business : prenons-nous en main en créant nos associations pour aboutir à quelque chose de concret !

Sourcehttp://africultures.com/dieu-seul-nous-fait-flipper-997/

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